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À propos de la peur

Dernière mise à jour : 20 déc. 2022


La peur est une sensation désagréable qui s'élève lorsqu'un danger survient. Elle doit être distinguée de l'angoisse, laquelle se manifeste sans cause identifiable, donc sans danger apparent. Mais parfois la frontière entre la peur et l'angoisse est ténue, aussi faut-il préciser ce qu'est exactement un danger.


Par définition, un danger est une menace. Cette menace peut concerner sa vie propre ou celle de ses proches (parents, amis, etc.), voire la société tout entière (guerres, pandémies, catastrophes). Si le danger est réel, identifiable, la peur est justifiée. Mais il arrive que le danger soit simplement possible ou probable, et la sagesse populaire nous affirme alors qu'il vaut mieux prévenir que guérir.


Un adage dit : "la peur n'évite pas le danger". C'est souvent l'argument des personnes qui pensent que la peur est inutile. Cela se discute. Car si le danger est réel et inévitable, c'est bien la peur qui nous conduit à mettre en place des stratégies de prévention pour éviter le risque majeur ou le reculer. Par exemple, la peur du dérèglement climatique, qui est un réel danger pour la planète et donc pour notre survie, nous force à agir contre les causes de ce désordre (gaz à effet de serre notamment). Les climatosceptiques, en revanche, ne reconnaissent pas ce danger et assimilent donc cette peur à de l'angoisse.


Quoi qu'il en soit de la réaction face à un danger réel, possible ou imaginaire, la peur affecte l'ego en raison de sa fragilité intrinsèque. L'ego n'existe en effet qu'en fonction d'une multitude de facteurs en interdépendance, en sorte que si un problème affecte l'un au moins quelconque de ces facteurs, alors la survie de l'ego s'en trouve mécaniquement menacée. La peur est donc liée à la possible dissolution de l'ego comme si celui-ci avait ultimement une existence indépendante de ses agrégats constitutifs. Et de fait, la cause de la peur est la croyance consolidée en l'existence de l'ego en soi, hors de son cadre constitutif. À ce titre, l'idée d'une vie post-mortem n'est au fond rien d'autre qu'une stratégie d'évitement face à la perspective souvent inacceptable de la mort.


Cette croyance consolidée en l'existence de l'ego en soi est semblable à un voile ou plus exactement à un gant qui habille la véritable nature des phénomènes, dont l'ego fait partie. On pense cependant à tort que si les phénomènes sont vides d'existence propre, alors ils n'ont aucune existence. Ceci est une mauvaise compréhension de l'anatman. Ce qui n'a aucune existence, c'est l'apparat qui se manifeste à la conscience comme une réalité, et non les phénomènes eux-mêmes. Et de fait, quand l'apparat disparaît, cela ne signifie pas que tout disparaît, mais que les phénomènes sont vus pour ce qu'ils sont, en dehors de toute représentation mentale.


Il existe un kôan qui dit "sans te mouiller, ramène le trésor enfoui au fond de l'océan !" Ce trésor est, fondamentalement, tout ce qui est vu, senti, entendu ou goûté sans les prismes des apparences qui sont le fait de l'ignorance de sa vraie nature ou de la vraie nature des phénomènes. C'est donc quand le gant qui habille les phénomènes – dont l'ego fait partie – a été retiré.


Mais comment retirer ce gant ? C'est le sens de "ramener le trésor sans se mouiller". Il ne s'agit pas ici de résoudre une énigme, même si c'est sous cette apparence, précisément, que se présente le kôan, mais de plonger dans l'océan.


Supposez que ce trésor soit votre propre enfant(1), et que celui-ci soit en train de se noyer au fond de l'eau. Si vous aimez vraiment votre enfant – et l'on ne saurait en douter –, vous plongerez sans hésiter, que l'eau mouille ou pas. Les kôans sont ainsi faits qu'ils vous placent dans une situation qui se moque des stratégies du mental pour passer en roublard les obstacles qui ne sont que des passes sans porte proposés par les maîtres et patriarches du Zen. Autrement dit, vous devez traverser la peur de l'eau ou celle de vous mouiller. Cette eau qui recouvre le trésor comme un gant recouvre les phénomènes.


Un autre kôan dit "avale d'une seule gorgée toute l'eau de l'océan Pacifique !" Ce kôan est de la même nature que le précédent. "Sans te mouiller" est strictement équivalent à "avale d'une seule gorgée toute l'eau de l'océan". Mais vous ne pouvez répondre à ces kôans que si vous réalisez la véritable nature de l'esprit/océan/eau/gant/voile... qui recouvre les phénomènes de leurs apparats. Et cette véritable nature est la Vacuité, qui n'est pas un phénomène dans sa nature propre, mais uniquement dans sa représentation intellectuelle.


(1) d'après Itinéraire d'un maître zen venu d'Occident de Taïkan Jyoji (éd. Almora).




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