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Huatou et Huawei – Pratique des kôans

Dernière mise à jour : 2 juil.


Je propose ici quelques explications succinctes sur les notions de huatou et de huawei et du lien que ces notions entretiennent avec le Zen et plus précisément la pratique des kôans.

Un huatou 話頭 en chinois – est, littéralement, un ”mot-tête”, c’est-à-dire l’état qui précède le mot. Par exemple, tout le monde a certainement été confronté à la difficulté passagère de retrouver un nom ou un mot. L’expression consacrée à cette situation est : ”je l’ai sur le bout de la langue”. Le huatou est, en quelque sorte, l’état du mot tel qu’il se trouve ”sur le bout de la langue”, et qui tarde plus ou moins à venir. Parfois c’est très rapide, au point qu’on n’a pas à le chercher ; parfois c’est très long. Et d’autres fois, c’est impossible.


En revanche, quand ce qu’on a sur le bout de la langue se manifeste, c’est un huawei – 話尾 en chinois –, qui signifie littéralement : ”mot-queue”. C'est le mot tel qu’il est dit ou entendu. Quand on trouve le ”mot-queue”, en particulier si on l’a cherché longtemps, on ressent une sorte de soulagement. Alors que le huatou nous met dans un état de tension, le huawei résout cette tension. Quand nous écoutons ou lisons des mots, ce sont des huawei. Quand nous parlons, nos mots sont des huawei. Un événement quelconque, tel qu’interprété, tel que nommé, tel que compris, est décrit par un huawei ou un ensemble de huawei. On pense avec des mots, et ces mots sont des huawei.


Ayant bien compris la différence entre le huatou et le huawei, venons-en à présent aux kôans. Considérons, pour faire simple, le Mu de Joshu. Mu ou Wu – 無 en chinois – est un mot qui signifie ”non”, ”rien”, ”vacuité”, etc. C’est la réponse que fit Joshu à un moine qui l’interrogeait ainsi : ”Le chien a-t-il la nature de Buddha ?” La réponse Mu laisse entendre que, selon Joshu, le chien n’a pas la nature de Buddha. Ainsi entendu et compris, le Mu de Joshu est un huawei.


Cependant, quand le maître demande à son élève : ”Pourquoi Joshu répond-il Mu au moine ?”, il ne se réfère pas au huawei, car le Zen ne consiste pas à disserter sur les raisons qui ont poussé Joshu à affirmer que le chien n’a pas la nature de Buddha, mais à interroger le huatou du Mu, c’est-à-dire l’esprit de Joshu avant qu’il prononce le Mu. Car Mu n’a pas été dit par hasard, même s’il n’a pas été élaboré par des considérations sémantiques ou philosophiques. Si l’on comprend, à l’instar du moine, Mu comme une négation stricte, alors on trouvera tout un tas d’explications rationnelles plus ou moins pertinentes pour justifier l’intention de Joshu. Par exemple, le fait que le chien – animal soi-disant détesté en Chine à l’époque de Joshu – n’était pas considéré comme un ”être sensible”, en sorte qu’il échappait aux catégories du Sutra du Nirvâna, est une explication qui se tient intellectuellement, car le Sutra du Nirvâna considère que seuls les êtres sensibles – possédant en quelque sorte un esprit – ont la nature de Buddha. Et du reste, ceci pourrait être conforté par la réponse de Joshu : ”c’est à cause de son mauvais karma !”, quand le moine insista : ”pourquoi ne l’a-t-il pas ?"


Sauf que le karma, bon ou mauvais, ne s’applique qu’aux êtres sensibles, en sorte que l’argument qui tendrait à exclure le chien des êtres sensibles ici ne tient pas vraiment. Une meilleure réponse, me semble-t-il, serait que la représentation que le moine a du chien n’est pas le chien selon sa nature propre – précisément parce qu'il est supposé posséder un esprit –, en sorte que c’est à la représentation du moine que Joshu se réfère et non au chien lui-même. Mais quelles que soient les explications rationnelles, fondées ou pas, sur les raisons qui ont poussé Joshu à répondre Mu, celles-ci s’appuient exclusivement sur le huawei, c’est-à-dire le mot prononcé par Joshu, et non sur le huatou.


Cependant, avant que Mu ne soit entendu et interprété comme une négation, Mu était Mu et rien d’autre que Mu, sans signification. Et Mu, à ce stade, est un huatou. Il est non-formé, non-créé, non-né. De ce point de vue, Mu est indifférencié de Joshu ; il est Joshu. Et quand le maître nous demande en sanzen : ”pourquoi Joshu répond-il Mu ?” il nous demande en réalité de trouver notre propre Mu, qui est notre nature de Buddha en ce qu’elle est indifférenciée de notre propre corps physique. La réponse ne viendra donc pas de l’interprétation du huawei, mais du huatou lui-même. Étant non-né, non-créé, non-formé, notre Mu et celui de Joshu sont indifférenciés. Étant indifférenciés, les raisons qui ont poussé Joshu à répondre Mu seront nos propres raisons, et nous n’aurons pas besoin de donner plus d’explications que d’affirmer le Mu, à l’instar de Joshu. Et si le maître en sanzen reconnaît ce Mu comme étant celui de Joshu, il joindra les mains et se prosternera devant le vieux maître.



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