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Le samadhi de prajna

Dernière mise à jour : 10 mai


L'hôte est le propriétaire d'un hôtel. Il y demeure en permanence. Le visiteur, en revanche, en est un client. Rarement le même. Il y séjourne peu de temps et y entre ou en sort à loisir.


Dans le Zen, l'hôte est assimilé à la nature immuable de l'esprit. Le visiteur, au contraire, est sa nature changeante, sous formes de pensées, de sensations ou de perceptions. De désirs aussi, et de rejets. De peurs et de confiance.


Dans la pratique du Zen, il importe, en premier lieu, de distinguer l'hôte du visiteur. Si on laisse passer les pensées ou les sensations pendant zazen, il faut savoir reconnaître qui les laisse passer les pensées ainsi que leur nature propre.


On dit quelquefois : "les nuages n'affectent pas le ciel." Mais ce ne sont là que des mots qui rassurent. On a besoin d'être rassuré, surtout au début de sa pratique, mais ce n'est pas là le sens ultime du Zen.


Le sens ultime est de réaliser la nature de l'hôte et du visiteur. C'est-à-dire la nature de l'esprit. Sont-ils différents ou sont-ils au contraire identiques ? Sont-ils à la fois différents et identiques ou ni l'un ni l'autre ? Ont-ils une existence dépendante ou indépendante l'une de l'autre ? Existe-t-il seulement un esprit, et auquel cas, un hôte et un visiteur ? Répondre à toutes ces questions ne relève pas d'opinions plus ou moins fondées sur l'intuition, l'intellect ou la littérature, mais sur une véritable expérience zen.


Supposons que je souffre des jambes pendant zazen. Sont-ce les jambes qui souffrent ou bien moi-même ? Je ne suis pas les jambes. La preuve, les culs-de-jatte existent bien sans elles. Mais si je ne suis pas les jambes, pourquoi souffrir à cause d'elles ? Est-ce parce que je les fais miennes ou parce que, en fait, je suis aussi les jambes ? Bien sûr, sur le plan anatomique et physiologique, on sait bien que les jambes sont reliées par des nerfs au cerveau et que c'est par le trajet des nerfs que se déplace le signal douloureux et que c'est dans le cerveau que la douleur est identifiée, ainsi que sa localisation. Mais ça ne répond pas à la question du pourquoi souffrir à cause des jambes si je ne suis pas les jambes, si je ne suis pas les nerfs ni le cerveau. Je pourrais dire la même chose du ventre si j'ai mal au ventre, ou bien de la tête si j'ai une migraine. Si je ne suis ni les jambes, ni la tête, ni le ventre, ni quoi que ce soit de ce corps, que serais-je alors si je pouvais tout retirer du corps ? Existe-t-il quelque chose de moi-même qui échappe à la souffrance, quand la souffrance est là ?


Je parle de la souffrance, mais je pourrais dire la même chose à propos de la pensée, de l'éveil ou de l'égarement. Quand le Bouddha s'éveille à sa nature, est-ce que tous les êtres s'éveillent avec lui au même instant ? Si vous pensez que c'est le cas, où étiez-vous quand le Bouddha s'est éveillé à sa vraie nature six siècles avant notre ère ? Si vous y étiez, qu'est-ce qui vous distinguait de lui ? Si rien ne vous distinguait de lui, où est-il à présent ce Bouddha avec lequel vous vous êtes éveillé ? Vous pourriez dire que vous êtes celui-là, mais alors vous devriez admettre que ce n'est pas mon expérience et en conséquence vous devriez affirmer que ce n'est pas votre expérience non plus.


Il n'existe pas de Zen sans expérience zen.


Techniquement, nous devrions être capable de distinguer l'hôte du visiteur. D'installer l'un ou l'autre à l'envi ou reconnaître quand l'un est là et l'autre pas. L'hôte représente la nature immuable de l'esprit, et donc non sujette aux perturbations physiques et mentales. C'est ce qu'on appelle l'état de samadhi.


Samadhi n'est pas l'éveil, mais on comprend bien qu'on ne peut pas s'affranchir du samadhi pour briller au travers des pensées, des sensations ou des perceptions, mais aussi du samadhi lui-même, qui est l'absence de pensées, de sensations et de perceptions. Parce que nous ne pouvons pas vivre indéfiniment sans pensées, sans sensations, sans perceptions.


Nous devons donc réaliser le samadhi de prajna.


L'hôte est semblable au miroir vide de reflets, mais il n'existe pas de miroir sans reflets ni de reflets sans miroir. De ce point de vue, l'hôte et le miroir sont en interdépendance. Vider le miroir de reflets revient de fait à vider le miroir de lui-même. Fondamentalement, le miroir est un reflet de lui-même.


La bonne pratique consiste à faire coïncider le miroir et ses reflets, l'hôte et le visiteur. Cette coïncidence est le samadhi de prajna. C'est l'équivalence du nirvâna (hôte) et du samsara (visiteur). C'est quand il n'y a plus personne à sauver, plus rien à libérer. Quand tout est libre par essence. Il n'y a rien à en dire, car ça ne serait que reflets. Quant au silence, il ne serait que miroir reflet de lui-même. Ne vous y trompez pas.



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