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Le Zen et la douleur

Dernière mise à jour : 18 juin


J’ai été invité à écrire un texte sur la manière de gérer la souffrance physique dans le Zen, pas seulement pendant zazen, mais dans la vie courante, en particulier en cas de maladie ou suite à un accident, une blessure, une brûlure... C’est un sujet complexe, car la réalisation de ce qui, en soi, n’est jamais atteint par la douleur nécessite un certain niveau de pratique.


Il est vraisemblable que l’absence de douleur, lors d’une agression physique, d’une lésion ou pour quelque motif que ce soit, résulte du fait de la production d’endorphine, hormone naturelle secrétée par le cerveau en cas d’activité physique intense, excitation, douleur ou orgasme. Mais ce n’est pas cette voie-là – que connaissent bien les athlètes de haut niveau par exemple, quand ils soumettent leur corps à rude épreuve – qu’exploite le Zen. En effet, dans la pratique du Zen, la douleur ne disparaît pas vraiment ; c’est le pratiquant qui change de perspective en sorte que celle-ci n’est plus vécue comme telle. Il ne la subit plus, mais se laisse traverser par elle autant qu’il la traverse.


Le Zen, quand il s’agit de ne pas être atteint par la douleur physique ou psychique, consiste, dans un premier temps, à s’interroger sur la nature de ce qui est atteint. Supposons, pour fixer les idées, que l’on souffre d’une douleur abdominale. On peut alors s’interroger ainsi : est-ce mon abdomen qui souffre ? À l’évidence non, parce que je ne suis pas mon abdomen, et si l’on devait retirer l’organe atteint, celui-ci ne ressentirait bien sûr aucune douleur. Est-ce mon corps entier qui souffre ? Pas davantage, car mon corps n’est pas limité à l’abdomen et je n’ai pas mal ailleurs. Est-ce mon mental qui souffre ? Non plus, car le mental est comme un miroir, et le miroir n’est pas affecté par les reflets. Le lac ne sait rien des reflets de la lune dans son eau.


Pour le dire simplement, la douleur est semblable à un reflet dans le mental. Une douleur est là, mais en réalité ça n’est ni celle de l’abdomen, ni celle du corps, ni celle du mental. Si je m’approprie cette douleur, je la fais mienne, mais fondamentalement, je ne suis pas cette douleur et cette douleur ne m’appartient pas.


Le Zen ne peut rien contre une maladie potentiellement mortelle, mais peut aider à agir sur les symptômes. Toutefois, agir sur les symptômes ne supprime pas la maladie. Il importe d’être clair sur ce point. Il est évident que la meilleure façon d’éliminer les symptômes est de traiter la maladie. Mais ce n’est pas toujours possible, car certaines maladies résistent ou échappent aux traitements.


Dans tous les cas, il nous faut apprendre à subir tôt ou tard les affres d’une maladie qui pourrait nous emporter. Nous pourrons alors connaître une longue et pénible agonie, ou pas. Nous ne savons pas ce qui peut arriver et la manière dont nous allons nous comporter le moment venu. Le mieux est donc de s’y préparer. Non pas avec angoisse ou inquiétude jusqu’à l’obsession, mais avec la volonté et la ferme résolution de traverser en se tenant prêt à quitter ce monde.


Se tenir prêt, dans le Zen, consiste à prendre refuge en notre vraie nature, car celle-ci est libre de souffrance. Encore faut-il bien sûr la reconnaître, car sinon on ne sait pas vraiment en quoi prendre refuge. Il ne s’agit pas de s’inventer un dieu ou quelque chose qui s’y apparente. Ça peut être utile à certains, mais ce n’est pas la voie du Zen.  


Pour que sa vraie nature se manifeste à la conscience, il faut commencer par lâcher prise. Mais le lâcher prise dont il est question ici ne consiste pas à se détendre et décider d’abandonner le corps et l’esprit. Ce n’est pas une décision du mental, mais un abandon du mental. Le mental abandonné ne décide rien ; il n’a plus de choix. Il se désagrège et tombe comme des feuilles mortes balayées par le vent. Le lâcher prise est la conséquence d’un arrachement. C’est comme un malade en phase terminale qui, après avoir lutté de toutes ses forces contre la maladie, se trouve acculé face à l’inévitable. Ayant fait le deuil de son existence, de ses biens et de ses proches, de ses peurs et ses désirs, il n’a d’autre issue que la mort. Il ne décide pas de mourir ; il n’a plus de choix. Décider, c’est encore choisir.


Quand on n’a plus le choix, c’est là, paradoxalement, que s’exprime notre vraie liberté. Nous pensons qu’être libre, c’est pouvoir choisir en conscience. Mais avoir le choix implique un certain degré d’hésitation. Or, l’hésitation est paralysante, car elle exprime la peur. C’est ce qui nous empêcher de traverser sans crainte de faire le mauvais choix et de le regretter ensuite. Car si nous agissons en conscience, ce n’est pas toujours en connaissance de cause. Les regrets sont le signe de l’insatisfaction, et l’insatisfaction, dans le Bouddhisme ou le Zen, est dukkha, la souffrance.


Notre vraie nature ne peut être qu'elle-même. Cela n’aurait en effet aucun sens qu’elle fût autre. Et notre vraie nature est libre de souffrance, d’insatisfaction, de troubles, d’erreurs, de souillures… Elle est libre de tout et de rien, car là où il n’y a rien, il y a tout.


Mais pour la convoquer, il faut bien sûr savoir la reconnaître. On peut avoir la foi, mais pour que cette foi soit inébranlable, nous avons besoin d’une preuve. Si l’on n’a que la foi pour seul bagage, il faut être certain que cette foi résiste à toutes les épreuves, car sinon on ne pourrait pas compter sur elle en cas de nécessité. Et si l’on doute d’avoir une telle foi, alors il n’y a pas d’autre alternative, si l’on veut traverser en étant prêt, que celle de réaliser sa vraie nature. Les maîtres zen d’antan incitaient leurs élèves à s’écrire, sur le front, les idéogrammes naissances et morts – 出生和死亡 – afin qu’ils se souviennent, quand ils se croisaient, du sens de leur pratique.


Dans l’attente d'une réalisation, il nous reste à pratiquer en nous plaçant dans des situations qui interrogent notre capacité à traverser la douleur sans crainte. Le zazen intensif, en sesshin et en particulier pendant Rohatsu, est un passage vivement conseillé. Il est rare en effet de passer Rohatsu sans être confronté à la douleur, à nos propres limites, car le corps physique et le mental sont poussés jusque dans leur ultime retranchement. L’envie de partir, d’abandonner pour ne pas souffrir est forte, mais si l’on se laisse traverser par la douleur, alors on la traverse. Et surtout, on sait ce qu’il faut convoquer pour qu’il en soit ainsi. Et une fois que l’on sait, on peut s’en servir à nouveau, en cas de besoin. Car c’est une ressource inépuisable. Ce n'est pas toujours facile, car la souffrance n'est heureusement pas notre lot quotidien, et l'on n'est pas toujours prêt. Aussi faut-il s'entraîner sans relâche.



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